Le crédit numérique en Côte d'Ivoire : un service à double tranchant
Le crédit numérique est présent en Côte d'Ivoire depuis 2018, mais jusqu'à l'année dernière, on savait peu de choses sur son utilisation dans le pays et sur les risques qu'il présente pour les utilisateurs. En 2022, dans le cadre du Laboratoire pour la protection des consommateurs de services financiers numériques de l'UEMOA, le CGAP a mené une enquête téléphonique représentative au niveau national auprès d'emprunteurs numériques en collaboration avec l'Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF) et Horus Development Finance. L'enquête nous a permis de mieux comprendre qui utilise le crédit numérique en Côte d'Ivoire, et quelles sont les opportunités et les défis rencontrés par les utilisateurs.
, les trois quarts des utilisateurs remboursant leurs prêts numériques en retard, indiquant que le produit n'est pas conçu de manière appropriée ou n'est pas fourni aux bonnes personnes.
Qui utilise le crédit numérique ?
Le crédit numérique en Côte d'Ivoire est un marché naissant avec seulement 14% des utilisateurs des services de mobile money ayant emprunté numériquement au cours des 12 derniers mois. Les utilisateurs sont principalement des hommes urbains. Les femmes ivoiriennes sont encore plus minoritaires parmi les utilisateurs de crédit numérique (27%) que ce que nous avons mesuré en Tanzanie (36%) et au Kenya (45%) en 2017, lorsque le crédit numérique en était à ses débuts dans chaque pays. Comme dans d'autres pays que nous avons étudiés au fil des ans, les emprunteurs de crédit numérique ont également tendance à être jeunes et instruits.
Quelles opportunités le crédit numérique offre-t-il aux Ivoiriens ?
Dans un pays où moins de 8% des adultes ont emprunté auprès d'une source formelle, selon le Global Findex 2021, le crédit numérique représente une opportunité importante pour de nombreux Ivoiriens d'emprunter de manière formelle pour la première fois. En conséquence, la grande majorité (plus de 75%) des utilisateurs de crédit numérique sont des primo emprunteurs formels. Les Ivoiriens interrogés semblent satisfaits de leur expérience avec le crédit numérique - 79% ont jugé leur expérience positive, appréciant particulièrement la rapidité du processus. Bien que ces prêts soient principalement comparables au "crédit à la consommation" en termes de taille et d'objectif principal, ils sont également utilisés à des fins commerciales. Ce phénomène peut également être observé dans d'autres pays où le CGAP a entrepris des enquêtes nationales sur le crédit numérique, comme la Tanzanie et le Kenya. Mais le tableau ne s'arrête pas là.
Pour les Ivoiriens, les risques potentiels du crédit numérique sont aussi importants que les opportunités
Trois utilisateurs sur quatre interrogés ont signalé qu'ils avaient rencontré des difficultés dans l'utilisation du crédit numérique. Par exemple, ils peuvent ne pas avoir compris la date de remboursement ou la structure des coûts, ou ils ont subi une interruption du réseau lors du remboursement du prêt. En outre, 78 % des emprunteurs numériques ont remboursé leur prêt en retard et près de la moitié ont eu des difficultés à rassembler l'argent nécessaire pour rembourser leur prêt, ce qui est probablement le résultat le plus inquiétant. Des enquêtes similaires menées en 2017 au Kenya et en Tanzanie ont également montré des taux de remboursement en retard préoccupants (47% et 56%, respectivement), mais ceux-ci étaient toujours inférieurs à ceux que nous avons mesurés en Côte d'Ivoire. Il serait intéressant de comprendre si la rapidité du processus de demande et de décaissement, si appréciée par 72% des clients ivoiriens, est en fait trop rapide - en particulier lorsqu'il s'agit de crédit numérique et de segments de clientèle vulnérables. Quelques autres données de l'enquête ivoirienne sont préoccupantes : 15% des emprunteurs numériques ont contracté un crédit "juste pour l'essayer" (la troisième raison la plus fréquente parmi les répondants), et les emprunteurs dans la tranche de revenu mensuel la plus basse (moins de 248 USD) étaient plus susceptibles de rembourser en retard que les autres.
Bien qu'il soit difficile de le prédire en raison de preuves limitées, il pourrait y avoir un risque de stress lié à la dette ou même de surendettement à terme pour de nombreux emprunteurs numériques ivoiriens.
Les données ci-dessus sont préoccupantes pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elles montrent que les clients peuvent avoir du mal à comprendre les conditions de ces prêts, surtout si c'est la première fois qu'ils empruntent de manière formelle. Parmi ceux qui ont remboursé en retard, 63 % ont été confrontés à au moins un problème de transparence, 57 % ont indiqué qu'ils ne comprenaient pas quand ils devaient rembourser et près d'un tiers ont indiqué avoir payé des frais inattendus. Il est intéressant de noter que nous n'avons pas constaté de différences majeures entre les femmes et les hommes en ce qui concerne la nature des risques auxquels ils sont confrontés.
Deuxièmement,
Un utilisateur sur cinq a contracté plus de cinq prêts, et 14% ont eu des difficultés à rembourser plusieurs prêts en même temps. Dans plusieurs cas, les emprunteurs ont dû utiliser leur épargne pour rembourser, et 8% ont réduit leurs achats de nourriture, un phénomène que nous avons également observé en Tanzanie et au Kenya (respectivement 9% et 20% des personnes interrogées).Une étude plus approfondie et des mesures appropriées seront nécessaires pour que le crédit numérique atteigne son potentiel
Alors que les clients mentionnent diverses raisons pour ne pas rembourser leurs prêts à temps, telles que la négligence, l'oubli ou le manque de planification - et dans une moindre mesure les difficultés économiques et les dépenses médicales - il est essentiel de mener des recherches supplémentaires pour identifier les causes profondes des retards de remboursement et prendre les mesures appropriées. Les autorités doivent surveiller activement le marché du crédit numérique, par exemple en menant des enquêtes téléphoniques périodiques de suivi pour identifier les tendances, ou en utilisant d'autres outils de surveillance du marché pour obtenir des informations quantitatives et qualitatives complémentaires.
Aussi, en partenariat avec un fournisseur clé et en collaboration avec l'OQSF, le CGAP organisera une série de discussions de groupe dans différentes régions de la Côte d'Ivoire pour informer les acteurs clés de l'écosystème de la finance numérique des raisons qui expliquent ces faibles taux de remboursement. Les autorités et les associations professionnelles peuvent également analyser les données transactionnelles granulaires du crédit numérique afin d'identifier si certains types de prêts (par exemple, les premiers prêts, les prêts accordés à certaines heures de la journée, les prêts d'un montant inférieur à une certaine valeur) sont plus susceptibles d'être en défaut ou remboursés tardivement (comme ce qui a été observé en Tanzanie).
Par exemple, les autorités réglementaires pourraient demander que soient ajustées les règles relatives à l'enregistrement des "prêts non performants" auprès du bureau de crédit (par exemple, en renonçant à l'exigence d'un rapport négatif pour les prêts inférieurs à un certain seuil, ou en ajoutant une définition du défaut de paiement qui tienne compte de la nature à court terme des prêts numériques).
De nombreux acteurs différents de l'écosystème de la finance numérique devront agir, et rapidement, pour garantir des résultats positifs pour les utilisateurs de crédit numérique à l'avenir.
Quant aux fournisseurs de crédit numérique, ils pourraient avoir besoin de simplifier davantage leurs termes clés, de les divulguer de manière visible et en temps opportun, et de s'assurer que les clients les comprennent pleinement. Ils pourraient également concevoir et tester de nouveaux moyens de rappeler aux utilisateurs de rembourser leurs prêts.
Les associations de consommateurs peuvent également jouer un rôle en informant les clients sur certains des risques associés au crédit numérique et en renforçant leur culture numérique. Idéalement, tous ces acteurs devraient travailler en collaboration, car ils apportent tous un point de vue légitime sur ce que pourrait être un crédit numérique responsable.
De plus amples informations sont disponibles sur l'enquête sur le crédit numérique ainsi que sur une enquête plus large sur les risques liés à l’utilisation des SFN.
Je suis intéressé
Le crédit numérique en côte d'ivoire est plein de stress. Les taux de remboursement très élevés, le délais est très court, et ils vont jusqu'à t'exposer devant tous tes contactes téléphoniques, c'est stressant. D'autres vont te demander de recaler le délais avec un taux très élevé que la dette elle même. Vivement qu'ils revoient leur procédure. Sinon ça nous arrange seulement s'ils revoient ces aspects que j'ai cité haut, franchement ce sera super.
J'ai pas encore utilisé mais je pense qu'il est bon
Merci pour ce partage d'expérience. Cette publication nous enseigne qu'il faut plus de prudence et une analyse approfondie de la clientèle pour lancer le crédit numérique. Le plus simple serait donc de l'offrir aux personnes disposant d'un revenu permanent sur la base duquel sera adossé un prélèvement automatique ; ce qui à priori ne sied véritablement pas aux agriculteurs. Dans ce cas, on pourrait donc le combiner à un financement contractuel ...dans des conditions spécifiques.
Merci pour cette remarquable publication. Pour ceux d'entre nous qui travaillent dans le secteur de la finance numérique inclusive, elle apporte un éclairage supplémentaire sur la mise en œuvre de nouveaux produits et services numériques offerts par divers acteurs de l'écosystème financier numérique dans les pays en développement. Chez DID, nous avons également accompagné diverses institutions financières dans la mise en œuvre de leurs feuilles de route numériques, et le crédit numérique y est presque toujours présent.
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