Au Burkina Faso, les utilisateurs de SFN les plus vulnérables ont besoin d’une meilleure protection
La finance numérique au Burkina Faso est relativement peu développée par rapport à d’autres pays de la région. Néanmoins, l’enquête nationale réalisée dans le cadre du laboratoire pour la protection des consommateurs de services financiers numériques (SFN) dans l’UEMOA, en partenariat avec le Secrétariat technique pour la promotion de l’inclusion financière (ST-PIF) et l’appui de Horus Development Finance, montre des risques importants pour les utilisateurs de SFN. Plus des trois quarts des répondants burkinabés ont affirmé avoir été exposés à au moins un défi lié à l’utilisation des SFN au cours des douze derniers mois.
Les défis auxquels font face les utilisateurs de SFN au Burkina Faso et leur exposition aux risques sont significatifs
Les utilisateurs de SFN font face à trois catégories de défis : 1) les risques liés à l’utilisation des services tels que les tentatives de fraude et d’escroquerie, 2) les pertes financières résultant de la matérialisation d’un risque, et 3) les défis à utiliser les services en raison d’un manque de capacités du client. Bien qu’élevés, ces risques, liés à l’utilisation des SFN, le sont un peu moins que dans les deux pays les plus avancés de la région (Sénégal et Côte d’Ivoire).
Les utilisateurs burkinabés de SFN vont face à trois risques majeurs
Le risque principal est celui d’une qualité insuffisante du réseau GSM ou internet. Selon notre enquête, 55% des utilisateurs ont été exposés à des problèmes de réseaux dans des proportions similaires dans les localités urbaines et rurales. La mauvaise qualité du réseau peut empêcher la réalisation d’une transaction ou perturber son bon déroulement, ce qui peut résulter en une transaction effectuée deux fois donnant lieu à une perte d’argent pour le client. En deuxième lieu, la traçabilité est une préoccupation significative puisque 32% des utilisateurs affirment ne pas recevoir systématiquement le SMS résumant la transaction réalisée, ce qui pourrait notamment découler de la mauvaise qualité du réseau. Enfin, 18% des utilisateurs ont été ciblés par des tentatives de fraudes et d’escroquerie.
L’exposition aux risques est relativement semblable selon les différents profils, à l’exception de l’exposition aux fraudes et escroqueries
En effet, l’exposition aux fraudes et escroqueries touche davantage les utilisateurs de SFN urbains (11 points de pourcentage (pp) de plus que pour les utilisateurs ruraux) et les hommes (6 pp de plus que les femmes), probablement parce que ce sont les profils d’utilisateurs les plus actifs. En revanche, il est important de noter que très peu de ces tentatives de fraude se traduisent par des pertes d’argent (seulement 3% des utilisateurs) et qu'il n’y a pas de différence dans le pourcentage des utilisateurs qui ont perdu de l’argent selon leur profil.
L’enquête a de plus mis en évidence des écarts importants d’accès, d’utilisation et d’autonomie dans l’usage selon les profils d’utilisateurs. Cependant, l’exposition aux risques et les pertes financières qui en découlent ne sont pas significativement différentes selon les différents profils, à l’exception de l’exposition aux fraudes et escroqueries qui semble corrélée avec la fréquence d’utilisation des services.
Les femmes et les ruraux ont davantage besoin d’aide pour utiliser les SFN
Selon l‘enquête, les clients ayant le plus de difficultés à naviguer dans le menu de l’USSD ou de l’application sont les femmes (17% contre 12 % des hommes) et les clients ruraux (19% contre 13% en zones urbaines). En outre, les hommes et les clients urbains reçoivent moins d‘aide de la part des agents pour effectuer leur transaction. Curieusement, ce profil d’utilisateurs (homme, urbain) fait typiquement plus d’erreurs sur le numéro de téléphone des destinataires de transferts ou sur le montant de la transaction.
Les agents jouent un rôle positif avec près d’un utilisateur sur deux déclarant avoir reçu de l’aide d’un agent
Les femmes, les utilisateurs en zone rurale et les plus âgés sont plus demandeurs d’aide de la part des agents. L’assistance reçue des agents porte principalement sur la compréhension de l’utilisation des services (30%) et de leurs coûts (16%), ainsi que sur la réalisation de transactions depuis le compte (17%) ou depuis le téléphone de l’utilisateur (28%). Comme en Côte d’Ivoire et au Sénégal, la grande majorité des utilisateurs de SFN au Burkina Faso (89%), tous profils confondus, sont indifférents quant au sexe de l’agent avec lequel ils effectuent leurs transactions.
"Comme nous ne savons pas lire, nous donnons le téléphone à l'agent qui vérifie le message (quand nous avons reçu l'argent) et effectue le retrait pour nous'".
Utilisateur de compte mobile money à Sabtenga
Cependant, ces mêmes agents manquent parfois d’unités électroniques pour les dépôts ou de liquidité pour les retraits. De plus, il arrive que les agents refusent de traiter des opérations de petits montants (26% des répondants ont fait face à ce problème). Cette pratique tend à discriminer les utilisateurs plus vulnérables qui font de plus petites transactions.
L’enquête indique une très bonne transparence sur les coûts de transaction et des moyens de recours efficaces
Seulement 5% des utilisateurs se sont plaints du manque de transparence des coûts de transaction, et la plupart des utilisateurs ont recours aux canaux de plaintes offerts par les prestataires avec un niveau de résolution très élevé (94% des cas lorsque le prestataire a été contacté).
Enfin, il convient de noter que les efforts déployés par les prestataires de mobile money pour mieux protéger les utilisateurs de SFN au Burkina Faso au cours des dernières années ont porté leurs fruits et se sont traduits par des risques plus faibles pour les utilisateurs de SFN du pays par rapport à la Côte d’Ivoire et au Sénégal (même s’ils restent élevés). En effet, pour assurer et maintenir la confiance des clients, dont beaucoup sont peu lettrés, des mécanismes de traitement des plaintes réactifs et orientés client ont été mis en place, ainsi qu’une bonne communication. Pour mieux lutter contre la fraude et les escroqueries et soutenir les clients concernés, ils ont mis en place plusieurs mesures, notamment une ligne téléphonique dédiée, des campagnes intensives de sensibilisation à travers différents canaux et une collaboration étroite avec la gendarmerie et la police.
Nous pouvons tirer de cette étude des conclusions précieuses pour rendre l’écosystème de la finance numérique plus responsable au Burkina Faso
Lors de l'atelier de présentation des résultats de l'enquête, les principaux acteurs de l'écosystème de la finance numérique ont identifié des solutions possibles autour de quatre thèmes principaux :
- Améliorer les capacités digitales des utilisateurs les plus vulnérables, notamment en facilitant leur expérience utilisateur grâce au développement d’interfaces vocales en langue locale ou par la conception et le déploiement de campagnes de formation en littéracie digitale en langue locale via les canaux les plus adaptés à ces utilisateurs, y compris via les acteurs communautaires.
- Réduire les risques auprès des agents et renforcer leur rôle dans l’accompagnement des clients, en particulier les femmes et les populations rurales. Les prestataires de SFN ont été encouragés à renforcer la formation de leurs agents sur leurs rôles et responsabilités et à traiter le problème de refus des retraits de petits montants pénalisant les utilisateurs les plus vulnérables.
- Accroître l’inclusion financière digitale des femmes, notamment en développant des solutions et des services digitaux adaptés à leurs besoins spécifiques et par l’expansion des réseaux d’agents.
- Réduire l’exposition des utilisateurs de SFN aux fraudes et escroqueries, en particulier en renforçant les capacités des structures étatiques en charge de la lutte contre la fraude, comme la Coordination de la lutte contre la fraude et la Brigade nationale de lutte contre la criminalité, et en renforçant l’application de la loi.
Le cadre de concertation sur la finance numérique du Burkina Faso, qui regroupe tous les acteurs de l’écosystème de la finance numérique et est coordonné par le Secrétariat technique pour la promotion de l’inclusion financière (ST-PIF), notre partenaire dans cette enquête, a déjà examiné et approuvé un plan d’action basé sur ces quatre thèmes. Ce plan d’action met en avant la nécessité d’une plus grande collaboration entre les acteurs de l’écosystème et d’un soutien des bailleurs de fonds. Certaines actions sont déjà en cours, comme le système vocal interactif du ST-PIF, qui délivre des messages en langues locales sur des sujets tels que la prévention de la fraude et l’accès au mécanisme de plainte. Avec une collaboration et un soutien continus, ces initiatives renforceront l’inclusion financière et protégeront les utilisateurs, créant ainsi un écosystème de la finance numérique plus résilient au Burkina Faso.