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Côte d'Ivoire : ce qui pousse certains utilisateurs à rembourser leurs crédits numériques en retard

L'extérieur d'un magasin à Abidjan en Côte d'Ivoire.

Selon une enquête téléphonique nationale menée en 2022 en Côte d’Ivoire, 78 % des emprunteurs de crédit numérique ont remboursé un prêt en retard à un moment donné, principalement en raison d'un manque de planification ou d'un oubli. Ce niveau de non-remboursement était plus élevé que ce que nous avons observé au Kenya (47 %) et en Tanzanie (56 %) en 2017, c'est pourquoi nous souhaitions mener des recherches plus approfondies afin de mieux comprendre les défis auxquels les emprunteurs ivoiriens sont confrontés en matière de remboursement de crédit numérique.

En 2023, dans le cadre du laboratoire de protection des consommateurs de services financiers numériques de l'UEMOA, CGAP, en collaboration avec Omedia, a mené une recherche qualitative pour mieux comprendre les profils des clients, l’utilisation des prêts et les facteurs de retard de remboursement. Nous avons mené 13 discussions de groupe et 19 entretiens individuels approfondis avec des emprunteurs, pour un total de 88 répondants clients de Bridge Microfinance, le partenaire de MTN pour le produit de crédit numérique MoMo Kash. L’étude ciblait les emprunteurs qui n'avaient pas remboursé un prêt numérique, ou bien avec du retard, au cours des premiers cycles de prêt ou des cycles ultérieurs. Ces résultats qualitatifs apportent un éclairage sur l'expérience des utilisateurs et les causes possibles des retards de remboursements.

1) Bien qu’il s’agisse souvent de leur première expérience avec le crédit formel, la plupart des répondants apprécient le crédit numérique et une grande partie d’entre eux sont fidélisés

La majorité des répondants n’utilisent qu’un seul fournisseur de crédit numérique et l’associent étroitement à leur opérateur télécom. Ils le voient comme un service à valeur ajoutée lié à leur téléphone mobile qui leur apporte "aide" et "soutien" (ou "soutra" en bambara). De nombreux répondants associent également le crédit numérique aux valeurs de confiance et de réciprocité qu’ils ont expérimentées avec les mécanismes de prêt communautaire. Le crédit numérique leur offre la même fiabilité que les mécanismes informels tout en préservant la confidentialité et en réduisant les risques de conflits avec les proches. Ce sentiment de confiance entretient un devoir de remboursement, quels que soient les moyens réels des clients.

"MoMo Kash a pour vocation d’aider les autres. Lorsque vous avez des difficultés à gérer votre argent, vous pouvez utiliser le service en vue de rembourser dans un délai déterminé". (Homme, travailleur indépendant)

 

2) Toutefois, la promesse d’argent instantané attire parfois des personnes en difficulté financière

Cela se produit malgré les mesures de protection mises en place par les fournisseurs de crédit numérique, comme le délai minimum entre l’inscription au service de mobile money et l’accès à un prêt, l’incitation à épargner avant d’emprunter et le plafonnement du montant des prêts. Pour ces personnes en difficulté, le crédit numérique n’est pas la première option pour obtenir de l’argent, mais plutôt le dernier recours lorsqu’ils ont essuyé un refus de la part de leurs amis et de leur famille, ou lorsqu’ils sont trop gênés pour s’adresser à leurs proches ou à d’autres mécanismes de prêt informels. Jonglant avec plusieurs prêts pour répondre à des besoins de base ou d’urgence, de nombreux répondants ne sont tout simplement pas en mesure de rembourser.

"Ce jour-là, j’avais du riz, mais rien pour l'accompagner. J’ai demandé autour de moi, désespérée, encore et encore, jusqu’à ce qu’on me dise d’essayer le MoMo Kash. C’est comme ça que j'ai pû aller au marché et que nous avons eu à manger ce jour-là". (Femme, travailleuse indépendante)

 

3) L’absence de conditions claires influence négativement la confiance des consommateurs et le remboursement des prêts dans les délais

La différence entre le montant du prêt demandé et le montant reçu après déduction des frais de déboursement engendre de la complexité et de la frustration dès le début de l’expérience client. De plus, les conséquences des retards de remboursement telles que les pénalités et le signalement au Bureau d’Information sur le Crédit (BIC) ne sont pas bien assimilées lors de la phase de souscription. La plupart des répondants ont accédé au crédit numérique via des interfaces USSD, ce qui limite la quantité d’informations fournies. Les fournisseurs de crédit numérique n’affichent pas systématiquement leurs conditions générales dans leur intégralité lors de la phase de souscription. Celles-ci sont accessibles via une URL non cliquable, difficile à copier-coller et nécessitant l’utilisation de données mobiles, une étape supplémentaire que la plupart des utilisateurs ne franchiront pas.

"Je ne suis pas allé voir les conditions générales parce qu'il faut être connecté à Internet. Et puis, est-ce que tu as le temps de regarder tout ça dans les circonstances dans lesquelles tu demandes un prêt ?" (Homme, travailleur indépendant)

 

4) Les clients peuvent apprendre à prendre des décisions mieux planifiées et éclairées

La première fois qu’un client demande un prêt numérique est un moment clé pour comprendre le produit. En Côte d’Ivoire, comme sur d’autres marchés de crédit numérique émergents, le bouche-à-oreille est un puissant moteur pour que les clients obtiennent un prêt numérique. Certains répondants ont expliqué avoir observé des emprunteurs expérimentés utiliser un produit de crédit numérique, ce qui aide généralement les nouveaux utilisateurs à se sentir plus à l’aise quant à leur future utilisation du produit, plus confiants pour en faire la demande et pour accéder à ce service. D’autres répondants ont indiqué avoir eu peu d’occasions d’en apprendre plus sur les produits de crédit numérique et se sont retrouvés exposés au risque de prêts contractés sans leur consentement, puisqu'ils comptaient sur des amis ou des proches pour gérer leurs téléphones et leurs comptes. Quelques participants prudents ont déclaré qu’ils avaient délibérément emprunté moins que le montant maximum qui leur était proposé, puis remboursé plus tôt pour tester le produit avant de futurs besoins de crédit.

"Ce jour-là, c’était dur et nous avons eu du mal à trouver une solution. Mon ami avait déjà contracté un prêt chez Orange mais il savait que c’était aussi possible avec MTN. Il a donc pris mon téléphone et a tapé pour demander un prêt. C’est là que je me suis intéressé et que je lui ai demandé de me montrer à nouveau comment cela fonctionnait". (Homme, travailleur indépendant, analphabète)

 

Consciente de ces défis, Bridge Microfinance a pris plusieurs mesures pour améliorer son offre de produits de crédit numérique.

Avec le soutien de l’IFC, Bridge teste la notation psychométrique du crédit des clients. Cette nouvelle approche complétera l’analyse financière basée sur les profils transactionnels des clients en évaluant également leur capacité de planification financière et leur volonté de rembourser. En outre, Bridge a mis à jour ses scripts de centre d’appels pour donner aux emprunteurs plus d’informations qui peuvent les aider à mieux comprendre le produit et à utiliser lors du suivi des clients en défaut de paiement. Le personnel du centre d’appels consacre désormais plus de temps à expliquer les conditions générales et à fournir des conseils pour les prêts futurs. En outre, Bridge investit dans des mises à jour de la plateforme technique, car certains arriérés sont causés par des erreurs de système, que les clients perçoivent souvent comme des problèmes liés à la mauvaise qualité du réseau.

Que peut-on faire d’autre pour améliorer les remboursements de crédit numérique ?

Les facteurs de paiement ponctuel, de remboursement tardif et de défaut de paiement sont complexes et peuvent dépendre de facteurs culturels, financiers ou éducatifs. Bien qu’il incombe aux principaux acteurs nationaux de trouver la meilleure solution locale au problème des retards de remboursement, notre expérience internationale nous a appris qu’il est essentiel d’adopter une approche holistique dans laquelle les différents acteurs de l’écosystème de la finance numérique collaborent pour rendre les services plus responsables envers les consommateurs. Nous formulons ainsi plusieurs suggestions à destination de différents acteurs clés.

  • Les autorités du secteur financier, en collaboration avec d’autres autorités, peuvent mettre en place des règles de transparence axées sur les résultats qui garantissent non seulement que les fournisseurs rendent les conditions générales de leurs produits accessibles, mais aussi que les utilisateurs les comprennent bien. Présenter les coûts des prêts d’une manière plus attrayante pour le consommateur peut réduire considérablement les taux de défaut, comme l’illustre une expérience menée au Mexique. Les régulateurs peuvent également adapter les exigences en matière de rapports de crédit afin d’équilibrer les avantages des informations de crédit positives et négatives avec les risques d’exclusion financière découlant de très petits prêts qui ne sont pas remboursés à temps. Exiger des fournisseurs de crédit numérique qu’ils ne déclarent que les prêts supérieurs à un certain seuil afin d’exclure les premiers prêts de plus petite valeur permettrait de reconnaître la courbe d’apprentissage nécessaire et l’amélioration de la compréhension des conditions générales qui ont lieu au cours du premier cycle de prêt. En outre, les autorités devraient continuer à surveiller le marché du crédit numérique et à évaluer les principaux indicateurs de risque, en particulier sur les prêts non performants.
  • Les prêteurs numériques peuvent adopter des procédures de gouvernance des produits plus solides et plus centrées sur le client. Les prêteurs doivent concevoir des produits qui trouvent un équilibre entre un parcours client fluide et des frictions positives qui permettent une meilleure prise de décision, en accordant une attention particulière aux nouveaux emprunteurs présentant les risques les plus élevés de ne pas rembourser à temps. L’évaluation des facteurs contribuant aux mauvaises performances des prêts numériques, puis la révision des méthodologies et des processus de filtrage, de notation et d’approbation du crédit – en particulier pour les premiers prêts – réduiraient les risques pour les utilisateurs et la sélection adverse pour les fournisseurs.
  • Les représentants des consommateurs et les ONG peuvent sensibiliser les utilisateurs actuels et potentiels de crédit numérique les plus vulnérables aux obligations et aux risques associés au crédit numérique.
     

Tous ces acteurs clés du marché doivent collaborer et adopter des solutions ensemble. Mettant à profit ses travaux sur le crédit numérique, CGAP recense les solutions proposées à l'échelle mondiale pour répondre aux risques rencontrés par les consommateurs en matière de crédit numérique, et s’assurer que le crédit numérique a un impact positif sur la vie des consommateurs.

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