L'inclusion financière via les paiements sociaux numériques : un objectif atteignable ?
Imaginez que vous êtes Bibata, une jeune femme de 32 ans résidant à Kaya, une localité secondaire du Burkina Faso, en situation de pauvreté, déplacée interne, mariée dans un ménage polygame, avec un foyer composé de 10 membres et vous n’avez pas été scolarisée. Un jour, vous êtes informée que vous avez été sélectionnée pour recevoir des transferts monétaires qui seront effectués sur un compte de mobile money. C’est le profil type des bénéficiaires de filets sociaux que nous avons interviewés au cours du premier semestre 2023 dans le cadre de notre diagnostic de l’environnement des paiements sociaux au Burkina Faso.
Depuis 2014, la Banque mondiale fournit un soutien financier et une assistance technique au système national des filets sociaux du Burkina Faso. Au total, à fin 2022, plus d’un million de personnes ont bénéficié de transferts monétaires sur des cycles de 3 ans. Au départ, les paiements étaient effectués en cash, de la main à la main, mais depuis 2018, les paiements du Projet Filets Sociaux sont effectués sur des comptes de mobile money. Cela a considérablement amélioré l’efficacité du processus de paiements et a permis de toucher des bénéficiaires dans des zones difficilement accessibles. En outre, effectuer les paiements sur un compte de mobile money permet de favoriser l’inclusion financière des plus vulnérables, souvent exclus de l’accès aux services financiers formels.
Dans les faits, l’ouverture et l’utilisation d’un compte de mobile money par des personnes vulnérables, souvent des femmes, présentent de nombreux défis. Les bénéficiaires sont peu familières avec le monde numérique, pour la plupart ne savent ni lire ni écrire, et dans beaucoup de cas ne possèdent pas de documents d’identité. C’est pourquoi le Projet Filets Sociaux a accompagné les bénéficiaires pour l’obtention de leur carte nationale d’identité.
Une utilisation basique et peu d’autonomie dans les usages
Dans le contexte d’insécurité que connaît le Burkina Faso, les femmes bénéficiaires, dans leur grande majorité, plébiscitent les paiements sur des comptes de mobile money qui leur permettent de recevoir leur argent discrètement et en toute sécurité. Elles choisissent ainsi où et quand se déplacer pour le retrait. Elles se sentent également protégées par la traçabilité et la transparence de ce moyen de paiement.
Étant donné que les temps ont changé, il est préférable de recevoir les paiements via mobile money plutôt que de les recevoir via paiements physiques… Nous sommes exposées (ndlr avec les paiements en cash) et il y a le risque d’être agressées, il faut toujours être prudent en matière de sécurité.
Cependant, de nombreuses bénéficiaires ne sont pas autonomes dans l’utilisation des services de mobile money. Vu leur faible niveau ou absence d’instruction scolaire, elles sont dans l’incapacité de lire les messages les informant de la réception des paiements sociaux, de consulter leur solde et de naviguer dans le menu pour effectuer elles-mêmes les retraits, ou ont peur de se tromper. Elles ont donc besoin d’aide, celles de leurs enfants scolarisés ou de l’agent de mobile money, afin de lire les messages reçus et d’effectuer les retraits. Cette dépendance vis-à-vis des agents, avec lesquels elles partagent leur code secret pour l’accès à leur compte, comporte des risques de fraude.
Comme nous ne savons pas lire, nous remettons le téléphone au gérant qui vérifie le message et fait le retrait pour nous.
Dans un tel contexte, les bénéficiaires de ces paiements sociaux se cantonnent à un usage très basique de leur compte de mobile money : elles reçoivent leur paiement puis retirent la totalité de la somme pour effectuer leurs dépenses en cash (achat de denrées alimentaires, scolarisation des enfants, achat d’animaux etc.)
Malgré un accès facilité au compte, son usage reste faible et limité. Ainsi, le potentiel du mobile money pour une véritable inclusion financière n’est pas exploité et nécessiterait un accompagnement renforcé.
Mieux exploiter l’opportunité d’inclusion financière offerte aux bénéficiaires de paiement sociaux
L’utilisation de comptes de mobile money pour la réception des paiements sociaux devrait être un catalyseur de l'inclusion financière. Pourtant, peu de bénéficiaires sont informés des avantages et utilisations possibles de ces comptes au-delà de la réception des paiements et des retraits correspondants. Afin de changer cette réalité, nous recommandons de renforcer les capacités des bénéficiaires pour un usage plus autonome des comptes, ainsi que d’établir une collaboration plus étroite entre les programmes sociaux et les prestataires de paiement.
, y compris la possibilité de faire des retraits partiels et progressifs des fonds reçus. En parallèle, les parcours client nécessiteraient d’être adaptés en utilisant par exemple des messages vocaux en langues locales. En outre, vu leur rôle essentiel, les agents de mobile money doivent être formés pour un meilleur accompagnement des bénéficiaires et être également sensibilisés à la protection des données personnelles, de même que les bénéficiaires.Les transferts monétaires étant d’une durée limitée dans le temps, favoriser l’inclusion financière des bénéficiaires est un moyen de consolider une résilience accrue à long terme. Pour ce faire, il apparaît judicieux d’accompagner systématiquement les bénéficiaires et les autres membres de leur communauté pour créer ou intégrer des groupes autogérés d'épargne et de crédit. En parallèle, le déploiement d’actions d'éducation financière, notamment digitale, favoriserait leur apprentissage de l’accès et utilisation de ces services d’épargne et de crédit. Enfin, les institutions financières, en particulier les institutions de microfinance, devraient être incitées à développer une offre de services adaptée aux besoins de ces segments de population vulnérables délivrés via les comptes de mobile money existants.
Exploiter le potentiel d’inclusion financière offert aux bénéficiaires de paiements sociaux sur des comptes de mobile money, dans les pays en développement et au Burkina Faso en particulier, nécessite des actions pluri-dimensionnelles et une coopération accrue entre les programmes sociaux et les acteurs de paiement du secteur privé. Bibata pourrait alors avoir accès à une diversité de services financiers lui permettant de développer une activité génératrice de revenus, lui procurant des revenus durables et lui permettant de faire face à ses besoins une fois les transferts monétaires terminés.
Il faut la formation en éducation financière des bénéficiaires. Ce qui permettra aux bénéficiaires qu'elles peuvent aussi épargner dans leurs téléphones et non seulement dans les SFD
Article intéressant mais nécessite une analyse approfondie pour connaître les véritables freins à l’inclusion financière des femmes.
Laisser un commentaire