Comment construire un écosystème de finance numérique responsable ?

Portail FinDev : Quelles sont les faiblesses de l'écosystème de la finance numérique en matière de confiance et d'atténuation des risques ?

Tidhar Wald : La bonne nouvelle, c'est qu'au cours des dix dernières années, environ un milliard de personnes ont gagné accès aux services financiers formels, la plupart d'entre elles via les paiements et services financiers numériques.

La révolution des paiements numériques change la vie des gens, en particulier celle des femmes. Qu'il s'agisse d'ouvrières du textile au Bangladesh qui n'ont plus à faire la queue pendant des heures pour toucher leur salaire, de commerçants de Lagos, Nigeria, qui veulent envoyer de l'argent dans leur village ou de cultivateurs de cacao au Ghana qui utilisent les paiements numériques au lieu de transporter des espèces qui les exposeraient au risque de vol.

Mais ces nouvelles opportunités s'accompagnent de nouveaux risques. Le manque de protection des données et de sensibilisation des clients sont des faiblesses majeures. Si nous voulons exploiter le plein potentiel des services financiers numériques et les utiliser pour intègrer davantage de personnes dans l'économie formelle, les paiements doivent être fiables, équitables, transparents, responsables et ils doivent offrir des voies de recours. 

Portail FinDev : Que peuvent faire les Prestaires de Services financiers (PSF) pour résoudre les problèmes de confiance du côté des clients ?

Tidhar Wald : Better Than Cash Alliance a développé des principes, connus sous le nom de Principes des Nations Unies pour des paiements numériques responsables, qui s'appliquent à tous les services financiers numériques. L'un des principes clés est de traiter les utilisateurs de manière équitable. D'autres concernent la protection des données des clients, la sécurité et l'accessibilité des fonds, etc. Ces principes sont essentiels pour améliorer la confiance, car si les PSF sont transparents en matière de tarification et de conditions d'utilisation, si les clients connaissent les coûts à l'avance et si leurs fonds sont protégés, alors ils feront confiance à ces services financiers numériques.

Au cours de la session consacrée à la finance numérique responsable lors de la Semaine européenne de la microfinance, Eric Duflos du CGAP et Amelia Greenberg de SPTF ont parlé de l'importance d’axer la conception des produits sur les individus, rappelant que les entreprises développent des solutions qui doivent répondre aux besoins des utilisateurs. Un rapport du CGAP met en lumière le rôle des associations de consommateurs et les modalités de collaboration avec les régulateurs dans la mise en place de mécanismes permettant d'intégrer la voix des consommateurs dans l'élaboration des politiques réglementaires.

On peut également tirer parti de la technologie pour faire entendre la voix des consommateurs, par exemple en utilisant les réseaux sociaux. Collecter des informations sur les besoins des clients peut aider à traiter la question de la confiance des consommateurs, car cela permet de voir ce qu'ils utilisent ou non.

Par ailleurs, il est essentiel de mettre en place des mécanismes de recours solides. Par exemple, si un client n'a pas reçu le paiement qui lui a été envoyé ou s'il a accidentellement versé son loyer à la mauvaise personne, il doit pouvoir le récupérer. S'il n'est pas en mesure de récupérer son argent ou de demander de l'aide, il ne fera plus confiance à cette solution financière.

Portail FinDev : Comment les échanges entre les autorités de régulation et de supervision à travers le monde peuvent-ils aider ces autorités aider à réduire la fraude, à accroître la protection des consommateurs et à renforcer la confiance dans les services financiers ?

Tidhar Wald : Les régulateurs jouent un rôle central dans le développement des écosystèmes financiers numériques inclusifs. S'ils ne créent pas les conditions d'un environnement favorable, les services financiers numériques ne peuvent pas se développer.

Au cours de la session, nous avons été éclairés par Demet Canakci du Toronto Centre. S’ils veulent faire entrer davantage de personnes dans l'économie formelle, les régulateurs doivent garantir la stabilité du système et protéger les consommateurs. Les régulateurs du monde entier sont confrontés à des problématiques communes. 

L'une des solutions consiste à offrir aux régulateurs un espace pour se parler dans un environnement sûr et ouvert, où ils peuvent discuter des moyens de développer des solutions responsables pour leurs marchés. Amelia Greenberg de SPTF et Jeroen Harteveld de la FMO ont tous deux mentionné l’importance du dialogue entre les régulateurs et les prestataires de services financiers. Les autorités de régulation doivent connaître les défis auxquels les PSF sont confrontés pour développer des réglementations plus équilibrées.

S’ils veulent faire entrer davantage de personnes dans l'économie formelle, les régulateurs doivent garantir la stabilité du système et protéger les consommateurs.

Tidhar Wald

Portail FinDev : Quel rôle peuvent jouer les investisseurs ?

Tidhar Wald : Les investisseurs ont un rôle très important à jouer.  Il leur appartient de poser les bonnes questions aux entreprises dans lesquelles ils envisagent d'investir. Une bonne approche consiste à vérifier que la solution numérique qu’elles proposent est conforme aux Principes des Nations Unies pour des paiements numériques responsables, qu’elle traite les utilisateurs de manière équitable, qu’elle résout leurs problèmes, qu’elle dispose de bons mécanismes pour garantir la protection et l'accessibilité des fonds, et qu’elle donne la priorité aux femmes dans la conception du service financier.

En effet, si les investisseurs s'assurent que la solution est transparente, qu'elle offre des possibilités de recours et qu'elle est centrée sur le client, ils ont plus de chances qu'elle fonctionne parce que les utilisateurs lui feront confiance et l'utiliseront. Les solutions responsables sont performantes sur le plan commercial. Par conséquent, leur investissement sera fructueux.

Portail FinDev : Comment intégrer l'orientation client ?

Tidhar Wald : L'orientation client consiste à concevoir pour les clients. C'est s'assurer que la solution fonctionnera pour eux et répondra véritablement à un besoin. Cela implique que les prestataires de services financiers investissent dans le développement de compétences en matière de conception de prototypes et de segmentation, et qu'ils recueillent les réactions du marché lors de l'élaboration de la solution. C'est le moyen de s'assurer que les clients utiliseront la solution et lui feront confiance.

Le problème, c'est qu'il n'y a pas assez de prestataires qui adaptent leurs produits à la diversité des clients que nous cherchons à servir parmi les personnes non bancarisées. Parler à vos futurs clients et collecter des données dès le début est un moyen de combler cette lacune et de s'assurer que leurs besoins sont satisfaits, qu'ils vivent d'emplois précaires ou qu'ils soient de petits exploitants agricoles.

Portail FinDev : Quelles sont vos principales conclusions sur les moyens de rendre l'écosystème plus responsable ?

Tidhar Wald : Il est essentiel de donner la priorité aux femmes, car 1,4 milliard de personnes dans le monde ne sont toujours pas bancarisées. Reconnaître leurs besoins, leurs capacités, leurs souhaits, la manière dont les services financiers numériques peuvent les aider à résoudre leurs problèmes quotidiens, s'assurer que les solutions sont disponibles dans les langues locales et que leurs données sont protégées, voilà ce qui nous aidera à atteindre cet objectif.

Que vous soyez un PSF, un bailleur de fonds, un investisseur ou un régulateur, il est essentiel que toutes ces parties échangent et comprennent les principes de base de la responsabilité auxquels chacune doit adhérer. Cela commence par les investisseurs qui cherchent à investir dans des PSF ou des innovateurs. Ils doivent s'assurer que la solution est responsable et que les données sont protégées. Il est également important que les régulateurs et les gouvernements imposent des principes responsables et s'assurent que tous les acteurs de l'écosystème comprennent l'importance des pratiques responsables lorsqu'ils développent des solutions, investissent ou utilisent des services financiers numériques.

Pour résumer, si vous proposez des paiements responsables, vous encouragerez l'utilisation. Si vous encouragez l'utilisation, vous favoriserez l'inclusion et si vous favorisez l'inclusion, vous développerez des économies inclusives ! 

Revivez cette session de la Semaine Européenne de la Microfinance dans son intégralité en vidéo.