La réponse innovante du Crédit Rural de Guinée à l'épidémie d'Ebola
Le Crédit Rural de Guinée (CRG) a été annoncé lauréat du 6 ème Prix Européen de la Microfinance pour sa réponse innovante à l'épidémie d'Ebola en Guinée. Le Prix est dédié cette année à la microfinance en zone post-catastrophe naturelle, post-conflit et dans les états fragiles. La récompense a été décernée durant la Semaine Européenne de la Microfinance par Son Altesse Royale la Grande-Duchesse de Luxembourg, durant la cérémonie du Prix qui s'est déroulée le 19 novembre au siège de la Banque Européenne d'Investissement à Luxembourg.
La remise du Prix a été l'occasion pour le Portail de la Microfinance de s'entretenir avec Lamarana Sadio Diallo, le Directeur Général du CRG, qui explique comment son institution a fait face à l'épidémie du virus Ebola et a continué à opérer, tout en prenant des mesures spéciales pour se prémunir de l'infection et protéger son personnel ainsi que ses clients.
Quelles réactions a suscité l’épidémie Ebola de la part de vos clients ?
Nos clients ont eu dans un premier temps peur d'être contaminés vue la virulence de la maladie, puis ils ont repris confiance et ont contribué aux campagnes d'information sur les moyens de se préserver contre la maladie. Le CRG a pris une part importante dans l’organisation de cette campagne de sensibilisation sur l’ensemble du pays grâce à l'appui financier de la SIDI (Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement) et l’IRAM (Institut de Recherches et d’Applications des Méthodes de développement), ses partenaires.
La demande de produits et services financiers a-t-elle évolué face à la crise ? Quel impact avez-vous obervé sur les résultats opérationnels et financiers de votre institution ?
Effectivement, la demande de services financiers a évolué. L’activité de prêts a décru compte tenu de la fermeture des frontières et des marchés hebdomadaires locaux suite à l'application de l'Etat d'urgence décrété par les autorités. En 2014, sur une prévision d'octroi de 124 milliards GNF, le CRG n'a pu réaliser que 92 milliards soit 32 milliards en moins par rapport à la prévision. Le volet épargne a lui aussi été touché : les déposants ont effectué de nombreux retraits pour faire face à leur besoins quotidiens, les activités étant bloquées par ailleurs. Nous avons utilisé la téléphonie mobile (via Orange Money) pour effectuer certaines opérations de transferts d'argent dans des localités où la maladie sévissait.
Cette double baisse des activités a entraîné de nombreux retards dans les remboursements des échéances prévues (qui s'élèvent à 1,47 millions d'euros). Notre institution a accusé un résultat financier déficitaire d'environ 1,5 millions d'euros en 2014. L'année 2015 sera, elle aussi, déficitaire car c'est seulement le 17 novembre 2015 que le dernier malade d'Ebola est sorti de l'hôpital.
Quelles mesures et procédures avez-vous mis en place pour faire face à cette situation de crise (en termes de ressources humaines, de flexibilité des politiques de crédit, d’encadrement des bénéficiaires) ? Avez-vous développé des synergies avec d’autres intervenants sur le terrain, comme des ONG d’urgence ?
Les premières mesures prises par le CRG ont été d'ordre sanitaire et ont concerné nos bénéficiaires et notre personnel. Toutes nos caisses de Conakry et de province ont été équipées de kits sanitaires (de l'eau chlorée ou du savon pour le lavage des mains et des thermomètres frontaux pour la prise de température). Parallèlement, nous avons mené une campagne de sensibilisation sur l'ensemble du territoire afin d’informer les populations des facteurs de risques, des symptômes et des façons de se prémunir. D'août à septembre 2014, plus de 4 000 personnes répartis sur l'ensemble du territoire ont été sensibilisées. Les bénéficiaires de ces sessions de sensibilisation ont eux-aussi diffusé le message auprès des membres de leurs localités. Avec l'appui du PAM (Programme Alimentaire Mondial), le CRG assure actuellement des indemnités aux personnes guéries d'Ebola, soit plus de 1 000, ainsi qu’aux familles des personnes de contact (environ 55 000).
Pour faire face à cette crise, nous avons en outre facilité les retraits d'épargne dans les zones infectées, avec parfois des retraits déplacés des zones en crise vers les zones indemnes. Des dépôts à termes ont pu être cassés sans paiement de pénalités. A titre d’exemple, la zone de Macenta & Gueckédou - l’épicentre de la maladie - a retiré plus de 4 milliards de GNF entre août et décembre 2014. Le CRG a aussi accordé une aide financière de 5 millions GNF aux familles des salariés décédés pour faire face à l’urgence.
Nous entamons une phase d'analyse afin de trouver des solutions adaptées à chaque membre impacté directement ou indirectement par la maladie. Les procédures de traitement sont globalement de deux ordres : un abandon de prêts pour les personnes décédées ou bien un rééchelonnement de prêts pour ceux qui n'ont pas pu réaliser leurs activités à cause d'Ebola. Ce rééchelonnement s'accompagne, en général, de l'octroi de nouveaux prêts pour permettre aux membres de redémarrer leur activité.
Actuellement, comment se porte le Crédit Rural de Guinée (d’un point de vue humain, opérationnel et financier) ? Où en est la situation d’Ebola dans votre pays ?
Le Crédit Rural relance actuellement ses activités dans plusieurs localités. Le personnel est mobilisé et engagé pour relever le défi des déficits des exercices précédents et retrouver un équilibre financier du réseau. Ebola tend vers sa fin en Guinée. S'il n'y a pas de nouveaux cas d'ici le 28 décembre 2015, la Guinée aura les 42 jours requis pour que l'OMS la déclare indemne de la maladie hémorragique à virus Ebola.
Au 31 octobre 2015, le réseau compte 120 caisses locales, 13 délégations régionales, 293 132 membres actifs, l'encours de crédit est estimé à 10 millions d'euros et l'encours d'épargne à 13,7 millions d'euros. Le CRG emploie actuellement 500 salariés et est appuyé par plus de 1 000 élus bénévoles.
Lire un article relatif sur le Microfinance Gateway : Crédit Rural de Guinée Demonstrates How to Build Resilience in the Face of Ebola.