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Dans le Maroc rural, les épiciers relaient les services financiers numériques

Un épicier dans sa boutique à Tanger au Maroc.

Dans les régions rurales du Maroc, une grande partie de la population ne montre que peu d’intérêt pour le m-wallet, le service de paiement mobile proposé depuis 2020 par les établissements de paiement et quelques banques. Malgré la multitude de cas d’usage, les formations en éducation financière et les campagnes de sensibilisation, le fossé persiste. L’hypothèse du CGAP était que ce manque d’engagement pourrait être comblé en recrutant des épiciers comme agents pour être des relais d’information. Des pilotes dans la région de Benni Mellal dans le centre du pays ont confirmé cette hypothèse, mais aussi mis en lumière la nécessité d’une stratégie solide de la part des institutions financières et des investissements conséquents en formation. Ce blog partage quelques stratégies pour recruter et motiver les épiciers ruraux à devenir agents-ambassadeurs, testées par le CGAP avec l’appui de l’Association Professionnelle des Etablissements de Paiement du Maroc, de Barid Cash, Chari et inwi money. 

La bonne nouvelle d’abord : les épiciers ruraux peuvent stimuler l’adoption du m-wallet. Le rôle des agents pour ouvrir des comptes, y déposer et en retirer de l’argent, était déjà connu. Mais dans les régions où les services financiers numériques peinent à décoller, ils jouent aussi un autre rôle crucial : celui d’ambassadeur. En démontrant l’utilité du m-wallet au quotidien, en guidant les néo-utilisateurs dans leurs premiers pas, ils contribuent à surmonter les réticences. Campagnes institutionnelles et dépliants n’avaient pas convaincu les populations non bancarisées des zones des pilotes, mais deux épiciers-agents motivés y ont recruté une trentaine de clients en moins d’un mois.  Peu sensibles aux messages impersonnels, les populations rurales le sont davantage aux recommandations de leur épicier. En le recrutant comme agent, l’institution financière gagne un allié précieux.

Mais les épiciers ruraux sont peu structurés, peu digitalisés, ont parfois un niveau d’alphabétisation limité et peu de fonds disponibles. Leur profil est différent des agents recrutés en zones urbaines. Les institutions financières doivent donc adapter leur stratégie. 

L’importance de la proposition de valeur non financière pour l’agent

En milieu rural, la proposition de valeur non financière pour l’agent est souvent plus importante que le niveau de rémunération, en tous cas pour initier la relation. C’est utile puisque les retours financiers ne se concrétisent souvent que plusieurs mois après le début de l’activité, lorsque la base de clients actifs est suffisante. Il existe plusieurs types de valeur non financière, offrant à chaque institution l’opportunité de se démarquer. Par exemple, le CGAP et ses partenaires Archipel et Aviso ont collaboré avec un établissement qui permettait à ses agents de profiter de son image de marque, appréciée dans tout le pays, et leur offrait des opportunités de socialisation via des formations et des groupes de discussion. Les épiciers ruraux, disposant de plus de temps et plus isolés que les épiciers urbains, ont apprécié cette offre. Un autre établissement a proposé aux épiciers qui devenaient agents et acceptaient le paiement mobile des prix intéressants sur des produits de grande distribution, des outils de gestion de stocks et de crédits clients. 

La rémunération reste bien sûr cruciale : l’épicier doit pouvoir rentabiliser ses investissements en temps et ressources. Mais à l’inverse des épiciers urbains qui ont parfois des attentes irréalistes, les épiciers ruraux s’intéressent à tout revenu supplémentaire et sont sensibles à la hausse potentielle de fréquentation de leur magasin. Ils rencontrent parfois des difficultés à comprendre comment tirer profit de leur rôle d’agent. Nous recommandons donc aux institutions financières d’avoir une « profit story » valable et convaincante, puis à rémunérer régulièrement les agents pour rendre cette valeur financière visible. 

Les épiciers ruraux doivent être formés et accompagnés

Pour combler les lacunes en éducation et en maîtrise des outils digitaux, les épiciers ruraux doivent être formés puis accompagnés. Contrairement aux commerçants urbains peu enclins à fermer boutique pour une formation, les épiciers ruraux ont apprécié recevoir une journée complète de formation, accueillant avec enthousiasme les nouvelles compétences en gestion de clientèle et en organisation. Par la suite, un suivi étroit s’est avéré nécessaire pour qu’ils maîtrisent l’application du m-wallet, et pour les conseiller dans leurs interactions avec les clients, notamment en cas d’insatisfaction.

Pour optimiser les coûts, Archipel a expérimenté un outil de chatbot sur WhatsApp. Très apprécié des agents, cet outil leur permettait de consulter des instructions simples sous forme de FAQ et vidéos, de recevoir des conseils personnalisés et des encouragements. De plus, une équipe volante d’animateurs, dédiés au recrutement et à la formation des nouveaux agents, a été testée avec succès. Les coûts restent toutefois très importants (estimation : 2200 MAD, environ 217 USD pour avoir un agent entièrement formé), rendant nécessaire un soutien financier de la part des pouvoirs publics ou de bailleurs de fonds pour couvrir tout le territoire (le CGAP a publié des conseils pour les décideurs politiques souhaitant mettre en place un tel soutien de façon raisonnée).

Comment encourager les agents à jour leur rôle d’ambassadeur ? 

L’institution financière doit inciter l’agent à jouer activement ce rôle d’ambassadeur, afin de changer les habitudes des clients et d’éviter un retour à l’argent liquide. Les techniques les plus convaincantes testées lors des pilotes ont été la communication régulière de leur performance, les relances par les animateurs et la mise en place de concours accompagnés de primes financières, de dons d’équipement ou simplement de reconnaissance. Le concept d’«agent du mois» a notamment suscité l’intérêt des épiciers ruraux, dans un esprit ludique et de réseautage. Soulignons aussi l’importance d’encadrer le travail des agents par des dispositions de protection de la clientèle afin d’éviter tout forme de harcèlement des clients de la part de ces agents motivés.

En résumé, les épiciers pourraient être le maillon manquant permettant de concevoir et promouvoir des services financiers numériques utiles aux populations rurales. Pour cela, il ne suffit pas de les recruter. Il faut avoir une vraie valeur à leur offrir, les former, les accompagner et les encourager.  Les institutions financières doivent donc envisager une stratégie d’investissement à long-terme ; et les pouvoirs publics des moyens d’accompagner leurs investissements initiaux. Pour plus de détails, consultez le document PowerPoint sur les leçons apprises au Maroc. 

Le CGAP remercie l’Association Professionnelle des Etablissements de Paiement du Maroc, ainsi que Barid Cash, Chari et inwi money qui ont participé à ces pilotes. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter cette présentation sur les conclusions du pilote.

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Luong Quoc Tuan , DID, Vietnam
04 mai 2024

C'est un pilot de success : une digitalisation au milieu rural.

Est ce que je pourrais acceder a cette presentation ?

Anonyme
08 octobre 2024

La présentation est disponible à cette adresse : https://www.findevgateway.org/sites/default/files/users/user346/CICO%20…

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