Voir grand en visant petit : répondre aux besoins des petits agriculteurs
La production agricole des pays en développement repose en grande partie sur les petites exploitations familiales ; d’après la FAO, celles-ci fournissent 80% des denrées dans les PVD. Aussi important que soit ce secteur, il reste néanmoins confronté à de nombreux défis, en particulier celui de son financement. Le secteur financier a encore du mal à trouver une stratégie viable pour desservir et accompagner les petits producteurs. Dans le cadre de l’édition 2018 de la Semaine européenne de la microfinance, Hannah Siedek (Banque européenne d’investissement) animera une session mettant en valeur quelques exemples réussis et potentiellement reproductibles de financement des petits agriculteurs. Alterfin, le CGAP et Pride Microfinance, un prestataire de services financiers ougandais, partageront leurs expériences à l’occasion de ce panel.
De nombreuses raisons justifient l’apport d’un soutien aux petits agriculteurs dans le cadre de la lutte contre la pauvreté :
- D’après les estimations, il y aurait quelques 500 millions de ménages de petits agriculteurs de par le monde, soit deux milliards de personnes.
- Ces deux milliards de personnes représentent une part importante de la population mondiale vivant avec moins de 2 dollars par jour.
- Toujours d’après les estimations, la population mondiale – et sa consommation alimentaire – vont augmenter de 30% d’ici 2050. La majeure partie de cette croissance démographique se concentrant en Afrique et en Asie du Sud-Est, les 450 millions de petits exploitants agricoles vivant dans ces régions occuperont une place plus importante que jamais.
- Aujourd'hui, les approches prometteuses d’extension du crédit aux petits agriculteurs, notamment via le financement des filières, ne permettent d’atteindre que 10% de ces exploitants, essentiellement dans les filières bien structurées, axées sur des cultures de rente à forte valeur ajoutée.
La situation est claire : les petits exploitants sont légion, ils sont omniprésents, très pauvres et nous dépendons d'eux pour la production alimentaire de demain.
La situation est claire : les petits exploitants sont légion, ils sont omniprésents, très pauvres et nous dépendons d'eux pour la production alimentaire de demain. Or, nous n'avons trouvé le moyen ni de les sortir de la pauvreté, ni de les épauler dans ce combat.
L'agriculture a toujours été une affaire compliquée pour le secteur de la microfinance. Des années durant, les institutions de microfinance (IMF) ont essayé de développer les bons produits, de mettre en place les bons canaux de distribution et de trouver les agents de crédit offrant le bon profil pour effectuer les analyses de crédit, mais aussi pour prodiguer des conseils en matière de techniques agricoles, d'utilisation des produits chimiques, etc. De nombreux intermédiaires financiers en Afrique redoutent toutefois l'agriculture, estimant qu'ils ne sont pas en mesure de faire face aux défis inhérents aux crédits agricoles.
Que peuvent faire les bailleurs de fonds pour contribuer à la résolution de ce problème ?
Trouver des moyens de partager les risques, et pas seulement les fonds
Cela fait des années que le secteur de la microfinance discute du profil de risque plus élevé inhérent à l’agriculture. Les bailleurs de fonds sont souvent disposés à allouer des ressources à l'agriculture, alors que de nombreuses IMF n'ont en réalité pas besoin de fonds : elles seraient plutôt en quête d’instruments de partage des risques, tels que des garanties.
De plus en plus d’applications technologiques visent à faciliter la gestion des risques dans le crédit agricole. Certaines institutions expérimentent la notation agricole, qui tient compte de la production de l’agriculteur, de la filière, de la superficie et de l’expérience. D’autres institutions ont mis en place des agents bancaires (des points de vente situés dans des zones rurales, qui traitent les opérations de dépôt et de retrait pour le compte des IMF) ; ce système permet de réduire les arriérés, car les agriculteurs n’ont pas à parcourir de longues distances pour rembourser leur crédit. Les bailleurs de fonds pourraient aussi se donner la peine d’investiguer et d’investir dans différentes solutions technologiques répondant aux besoins et aux risques spécifiques du financement des petits exploitants agricoles.
Affiner les directives environnementales et sociales (DES)
Les bailleurs de fonds doivent davantage adapter leurs directives environnementales et sociales (DES) aux conditions réelles des pays dans lesquels les IMF opèrent. En protégeant les personnes et leur environnement de possibles effets néfastes, les DES contribuent largement à promouvoir la durabilité environnementale et sociale des projets financés.
Dans le domaine agricole, par exemple, les DES cherchent à maintenir les enfants à l'école plutôt que de les voir travailler dans les champs, à assurer un traitement et des conditions adéquates pour les animaux de ferme, à promouvoir des pratiques d'irrigation durables et à éviter l'utilisation excessive de produits chimiques.
À l'heure actuelle, la quasi-totalité des bailleurs de fonds disposent de leurs propres DES agricoles, certaines plus strictes, d'autres moins, mais au cours des dernières années, les critères des DES sont devenus si stricts qu’il devient de plus en plus compliqué pour les IMF de se conformer aux exigences des bailleurs de fonds. Ces derniers devraient revoir leurs normes pour s’assurer qu’elles peuvent effectivement être respectées dans les environnements où elles seront mises en œuvre – les Pays en voie de développement (PVD) – et ce, d’autant plus que même ici, en Europe, nous n’arrivons pas toujours à les respecter.
Poser les questions ardues
La question qui se pose devient donc : quel type de compromis devrions-nous trouver entre le monde idéal dont nous rêvons et les réalités auxquelles nous devons faire face lorsque nous soutenons l'agriculture ? S’agit-il d’accorder davantage de temps à l’accompagnement des IMF qui désirent améliorer leurs pratiques de crédit agricole ? Ou bien de leur fournir plus d’assistance technique pour les aider à élaborer leurs propres DES ? Ou encore de trouver des modalités alternatives de soutien à l'agriculture ? Sans doute la microfinance ne peut-elle à elle seule apporter la solution. Peut-être devrions-nous travailler avec différents acteurs, tels que les acheteurs et les fournisseurs d’intrants, pour influencer davantage la qualité de vie des petits agriculteurs.
S’agit-il d’accorder davantage de temps à l’accompagnement des IMF qui désirent améliorer leurs pratiques de crédit agricole ? Ou bien de leur fournir plus d’assistance technique pour les aider à élaborer leurs propres DES ?
Voilà quelques-unes des questions ardues que doit se poser quiconque entend trouver un compromis acceptable (s’il existe) autour des meilleures pratiques. Il nous tarde d’aborder ces questions à l’occasion du panel « Voir grand en visant petit : répondre aux besoins des petits agriculteurs » organisé dans le cadre de la Semaine européenne de la microfinance.
Ce sera aussi l’occasion pour le CGAP (Groupe consultatif sur l’assistance aux plus pauvres) de présenter le fruit de recherches menées en Ouganda, qui permettent de se faire une idée des besoins et des comportements des petits exploitants agricoles et pour une IMF ougandaise de nous expliquer comment elle a adapté son activité à la lumière de ces recherches du CGAP. Nous discuterons avec un bailleur de fonds des différents défis auxquels il se trouve confronté lorsqu’il apporte son soutien aux petits agriculteurs. Joignez-vous à nous pour ce qui s’annonce comme une rencontre très intéressante !