Ibisa utilise l'assurance paramétrique pour couvrir les petits agriculteurs
Maria Mateo Iborra travaille dans l'industrie spaciale et celle des communications par satellite depuis 2005. Elle est titulaire d'un master en génie des télécommunications, d'un master en communications par satellite et d'un MBA. Maria est également une entrepreneure en série et une investisseuse, ayant lancé des entreprises depuis l'âge de 16 ans. Elle a cofondé IBISA, une start-up Insurtech qui fournit la prochaine génération d'assurance pour les agriculteurs.
Portail FinDev : Plus de 500 millions de petits exploitants agricoles produisent plus de 70 % de l'approvisionnement alimentaire mondial. Toutefois, dans certaines régions comme en Afrique subsaharienne, 97 % d'entre eux ne sont pas assurés. Quels sont les principaux obstacles ? A partir de ce constat, comment est née l’idée d'Ibisa ?
Maria Mateo Iborra : Plusieurs raisons expliquent que la pénétration de l’assurance reste faible. Pour commencer, les agriculteurs à faibles revenus et petits exploitants ont un niveau d'éducation financière plus faible et des moyens financiers limités. Bien que l'assurance soit l'un des principaux outils de résilience et de transfert des risques, il reste très difficile pour eux d’en appréhender le fonctionnement et d'en faire une priorité.
Ensuite, il n'est pas facile d'atteindre ces agriculteurs et gagner leur confiance demande beaucoup d’efforts. Les entreprises ne sont pas nécessairement disposées à consacrer du temps et de l'argent à trouver les moyens de servir ces petits exploitants à faibles revenus à travers le monde.
Enfin, nous manquons encore d'innovations capables de rendre les produits d’assurance plus durables, plus rentables, plus transparents et plus accessibles. Il existe pourtant aujourd'hui des moyens technologiques avancés qui peuvent être exploités pour surmonter certains défis. La technologie peut jouer un rôle dans l'accès à des produits plus rentables, transparents et disponibles partout.
En ce qui me concerne, je viens d'un milieu agricole en Espagne. Je me souviens que nous avions subi une année une grosse tempête de grêle. Nous étions assurés, mais il avait fallu beaucoup de temps à la compagnie d'assurance pour évaluer les dégâts et le processus n'était pas totalement transparent. Plus tard, en travaillant dans le secteur des satellites, puis dans celui de la blockchain, j'ai réalisé que la technologie pouvait permettre de réimaginer l'expérience de l'assurance. J'ai commencé à aider les compagnies d'assurance à tirer parti de la blockchain et des satellites. C'est ainsi qu'est née l'idée d'Ibisa, qui s'est concrétisée lorsque j'ai été rejointe par les cofondateurs de l’entreprise, Jean-Baptiste Pleynet et Annette Houtekamer.
Portail FinDev : Ibisa a recours à l'assurance paramétrique par satellite. Comment utilisez-vous la technologie pour protéger les petits exploitants agricoles des phénomènes météorologiques extrêmes ?
Maria Mateo Iborra : L’utilisation des satellites présente deux grands avantages pour l'assurance des petits exploitants agricoles. Le premier est qu'ils sont disponibles partout et qu'il existe un historique de données dans le monde entier.
Le deuxième est que les données satellitaires que nous utilisons sont en open source. Nous pouvons donc les utiliser librement, ce qui nous permet de concevoir des produits très économiques. Avec l'assurance paramétrique par satellite, il est ainsi possible de créer des produits pour les petits exploitants agricoles qui soient rentables et durables à long terme.
Portail FinDev : Comment vos solutions d'assurance innovantes contre les catastrophes naturelles comblent-elles le fossé entre les produits d'assurance existants et les besoins des agriculteurs ?
Maria Mateo Iborra : Nous mettons en relation l'offre et la demande en concevant les bons produits pour les bons marchés au bon prix, en intégrant les porteurs de risques dans le processus et en gérant l'ensemble du dispositif de bout en bout.
Dans chaque pays où nous opérons, nous collaborons avec les acteurs de l'offre et de la demande. Dans certains pays, nous travaillons en partenariat avec les acteurs des chaînes de valeur agricoles. Par exemple, en Inde ou au Sénégal, nous nous associons à des entreprises d’agritech, à des institutions financières ou des institutions financières non bancaires, ou encore à des fournisseurs de semences.
Nous concevons des produits spécifiques sur la base des besoins des clients. Par exemple, dans le nord du Sénégal, les besoins ne sont pas les mêmes que dans le sud du pays, et les conditions climatiques sont différentes. Nous utilisons des paramètres différents pour créer des solutions sur mesure à partir de la même plateforme. Par exemple, aux Philippines, les agriculteurs sont fortement exposés aux typhons et veulent donc être couverts pour ces événements de grande ampleur ; à l’inverse, dans d'autres pays, ils demandent à être couverts pour des événements plus fréquents, aux conséquences moins graves mais dommageables à long terme.
Une fois que nous avons adapté nos modèles, nous travaillons en partenariat avec les compagnies d'assurance : nous leur apportons les clients, et de leur côté elles souscrivent le produit et vérifient que tous les aspects réglementaires ont bien été pris en compte. Nous assurons la transparence du système en nous efforçant de le rendre simple dès le départ et en fournissant des outils d'explication et de suivi. Nous avons par exemple un outil très simple qui permet aux agriculteurs d'observer quotidiennement le niveau des pluies et de consulter le niveau de déclenchement sur un téléphone ou un ordinateur portable, et donc de savoir s'ils recevront une indemnité.
Portail FinDev : Comment estimez-vous les pertes et les indemnités, y compris dans les régions reculées ?
Maria Mateo Iborra : Auparavant, nous utilisions des « veilleurs » pour évaluer les pertes couvertes par certains produits sur la base des variations d’un indice NDVI (Normalized Difference Vegetation Index, ou indice de végétation par différence normalisé). Le dispositif comparait les valeurs NDVI d'un mois donné à la moyenne historique de ce mois. Le système de « veilleurs » reposait sur le concept d’intelligence collective. Le NDVI est un meilleur indice que celui des précipitations, mais nous avons réalisé qu'il était difficile à saisir pour les agriculteurs et qu'il créait des problèmes sur le terrain, car les producteurs ne comprenaient pas ce qu'était un bon ou un mauvais NDVI.
Suite à cette expérience, nous avons décidé de revenir à des indices plus simples, comme ceux basés sur les précipitations, car ils sont mieux acceptés et plus faciles à comprendre pour les agriculteurs. Pour rendre les choses plus claires, nous leur expliquons comment le produit aurait fonctionné les années précédentes grâce à un autre outil simple que nous avons développé. Par exemple, aux Philippines, pays vulnérable aux typhons, nous indiquons quel aurait été le montant des indemnités une année donnée sur la base de l'indice pluviométrique.
Portail FinDev : Vous développez vos activités en Afrique de l'Ouest. Quels sont les défis spécifiques à cette région ? Quels nouveaux produits avez-vous développés pour répondre aux besoins des clients ?
Maria Mateo Iborra : En Afrique de l'Ouest, nous sommes pour l'instant implantés au Sénégal, où nous proposons un produit ciblant les fermiers et les éleveurs nomades ; et nous prévoyons de nous lancer bientôt au Ghana. Ce produit protège contre les risques de déficit pluviométrique et fonctionne à différentes saisons. Nous couvrons la santé des pâturages afin que les éleveurs puissent sécuriser le fourrage pour nourrir leur bétail.
Pour ce produit, nous travaillons en partenariat à la fois avec l'assureur – la Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS) – et avec le distributeur, l'association des éleveurs d'Afrique de l'Ouest appelée Réseau Billital Maroobé (RBM).
Notre position dans la chaîne de valeur de l'assurance nous permet d'être agiles et d'entrer très rapidement sur de nouveaux marchés en tant qu’entreprise technologique. Notre approche du marché est davantage basée sur les clients que sur les pays, nous ciblons des segments ou des clients potentiels.
Nous sommes en train de nous implanter au Ghana, un centre important pour l'industrie alimentaire et des boissons. Nous avons travaillé avec des partenaires locaux pour préparer notre entrée sur le marché.
Le secteur de l’assurance paramétrique est en train d’émerger dans certains pays, comme au Nigeria avec le programme gouvernemental NIRSAL. Nous voulons être présents et prêts à saisir certaines de ces opportunités.
Portail FinDev : Quelles sont les prochaines étapes et quels sont, selon vous, les principaux axes prioritaires pour Ibisa ?
Maria Mateo Iborra : Nous avons plusieurs axes de travail pour l’avenir :
- Continuer à développer nos activités avec nos partenaires et clients existants aux Philippines et en Inde, où nous avons de grands programmes en cours ;
- Reproduire notre modèle d’intervention dans différents pays pour devenir l'assurance climatique de référence pour les acteurs de la chaîne de valeur qui ne veulent pas avoir à résoudre tous les défis de l'assurance pays par pays, mais veulent pouvoir compter sur un partenaire en mesure de fournir une solution complète pour les résoudre.
Et plus globalement,
- Rendre l'assurance plus largement accessible aux petits exploitants agricoles. Il est essentiel d'avoir les bons partenaires pour proposer les bons produits au bon endroit aux bonnes personnes, et maximiser ainsi l'impact pour les agriculteurs.
Le sujet est très intéressant et attire mon attention particulière. Je souhaite de fait, que ces genres d'initiatives soient proposées pour la RDC mon pays, dans lequel les petits exploitants ne sont pas couverts par ces genres d'assurances. Je vous propose donc, d'entrer en contact avec RAWSUR une compagnie d'assurance basée dans notre qui assure le capital restant dû des preneurs de crédit. Une telle proposition aboutira certes à un succès.
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